L’ÉCONOMIE SOCIALE : AGIR POUR ET AVEC LA COMMUNAUTÉ

Le 10 novembre, le Chantier en développement socioéconomique, coordonné par la CDC Centre-Sud, a réuni plusieurs expert·e·s en économie sociale pour mettre en lumière les avantages de ce modèle dans le développement local.

Sous le thème ” injecter de l’économie sociale dans son organisation, c’est gagnant!”, le panel est revenu sur les bases de l’économie sociale et a explorer les bénéfices et limites de ce modèle au travers de plusieurs témoignages d’organisations du quartier.

Dans un esprit transfert d’expertises, nous vous partageons les échanges de cette matinée soit en revisionnant le webinaire au complet ou en lisant le compte-rendu!

https://youtu.be/QcZY3ZqKt_Q

Découvrez en vidéo le parcours inspirant de 4 entreprises et organismes communautaires du quartier qui ont choisis l’économie sociale comme modèle d’affaires. Pas familier avec l’économie sociale? Pas de soucis, la première partie vous propose un cours 101!

Économie sociale et développement local, pourquoi ça me concerne?

Regard de Sophie Poirier, CESIM

La définition de l’économie sociale est changeante, mais globalement, ce modèle économique date de plus d’une centaine d’années (ex. : le mouvement des caisses populaires Desjardins du Québec), même si sa forme « contemporaine » date d’environ 1995. Le but de l’économie sociale est de vendre des biens et des services, tout en conservant une finalité sociale. Le modèle économique vise explicitement à trouver le juste milieu entre l’impact social et l’impact économique. Plus généralement, selon les territoires où l’économie sociale se déploie, ce modèle économique peut se placer à gauche de l’axe politique ou à droite. Au Québec l’économie sociale est perçue comme étant complémentaire avec l’ensemble du système économique et les différents paliers gouvernementaux, malgré une certaine méconnaissance de ce modèle économique. Cette collaboration avec le système économique actuel et les institutions politiques permet de renforcer la résilience du système économique tout entier. Dans la province de Québec, on parle de 1 milliard de dollars de fonds lié à l’économie sociale.

Les formes de l’économie sociale varient : coopératives, mutuelle, etc., mais il y a toujours 6 grands principes qui guident les entreprises d’économie sociale :

  • L’entreprise doit viser ou avoir en son sein une mission sociale (par et pour, non centré sur le profit).
  • L’entreprise doit être indépendante de l’État.
  • L’entreprise doit mettre activement de l’avant une forme de gouvernance démocratique (1 membre/1 vote).
  • L’entreprise doit être autonome financièrement.
  • L’entreprise doit redistribuer ses surplus.
  • L’entreprise est un reliquat collectif, c’est-à-dire que l’entreprise n’a pas de valeur intrinsèque; si elle est vendue, on ne peut en tirer de profit.
Regard de Carole Poirier, PME Montréal Centre-Ville

L’économie sociale ne se lie pas forcément à des clientèles marginalisées, mais vise toujours à répondre à un besoin, à travers un processus de concertation. Il est important de ne pas perdre l’aspect « entreprise »; il le s’agit pas ici d’un organisme communautaire, mais bien d’un commerce. Cet aspect de l’économie sociale peut parfois agir comme un frein : parfois les entreprises d’économie sociale se font reprocher « d’avoir vendu leur âme », surtout lorsqu’il s’agit d’aider des clientèles marginalisées. L’économie sociale met donc en valeur un modèle entrepreneurial et ce qui lui est nécessaire : un robuste plan d‘affaire incluant par exemple des projections, ou de plans pour rejoindre telle ou telle clientèle. Ce faisant, les entreprises d’économie sociale, comme toute entreprise, à accès à des subventions.

Selon les entreprises d’économie sociale, plusieurs faiblesses sont à souligner :

  • Difficulté à établir des grilles tarifaires, et plus généralement le concept de tarification
  • L’entreprise d’économie sociale doit se projeter sur un temps long
  • Il faut faire attention à ses vraies intentions : l’entreprise d’économie sociale vise avant tout à s’intégrer dans son milieu

Parcours inspirants d’organisations du quartier

Quel a été l’élément déclencheur qui a amené votre organisation à adopter l’économie sociale?
  • Centre-St Pierre – Le besoin d’autonomie, une valeur importante pour le Centre St-Pierre, la volonté de pérenniser la mission ainsi que la volonté de s’ancrer dans le quartier.
  • Coop Le Symphonique – L’élément déclencheur a été le besoin urgent de permettre de continuer de pratiquer de la musique, selon des normes (ex. : insonorisation des locaux) qui étaient adaptées à leurs besoins. Puisque personne n’avait l’argent pour acheter, la solution « la plus simple » a été de s’associer en coopérative.
  • La Livrerie – L’économie sociale a été adoptée après l’exercice de la « boussole entrepreneuriale ». Après une analyse de l’offre culturelle du quartier, et une réflexion, la forme d’économie sociale s’est imposée comme la solution idéale : « c’est le meilleur des deux mondes », à savoir la rentabilité et l’implication sociale. Le modèle de coopérative de travailleur·euse·s permet de « remettre du sens » dans le milieu du travail.
  • Le GIT – Après une analyse d’affaires le modèle d’économie sociale s’est implanté en 3 étapes :
    • Émergence : Via le « programme préparatoire à l’emploi », fonds gouvernemental qui a été à la base de ces changements. Autres fonds (2003 via Services Canada) qui ont permis de créer des « plateaux de travail ». Suite à de nombreuses coupures et de changements administratifs, il y a eu une réflexion afin de « se réinventer » pour se prémunir contre les changements gouvernementaux.
    • Mouvance : Trajectoire vers des contrats de service. Cela s’est fait plutôt lentement. Il y a eu un changement de paradigme dans la culture organisationnelle, afin de rendre des services compétitifs via le marché, etc.
    • Consolidation : Présence de partenaires stables, multiples liens avec les institutions et les entreprises privées, et OBNL… bref, les liens d’affaires se développent et se maintiennent
Comment cela s’applique dans votre organisation (modèle économique/organisation/ RH/lien avec le quartier)?
  • La Livrerie – Le choix des livres de la librairie avec par exemple la catégorie « essais », qui laissent beaucoup de place aux modèles alternatifs. Il y a eu ensuite des transformations idéologiques, via une certaine militance pour le modèle d’économie sociale. Il y a aussi une prise de décisions collectives, et implication des utilisateur·trice·s dans le modèle d’affaires. Présence actuelle de réflexions afin d’intégrer davantage de membres de la communauté dans le C.A.
  • Le GIT – 3 grands domaines d’impacts positifs.
    • Impacts positifs organisationnels : offre des parcours qui visent la réinsertion sociale, et l’économie sociale est étroitement liée à la mission. Permets d’actualiser la mission. Autonomie financière de l’organisme. Plus de souplesse dans l’organisation qui avantage les participant·e·s (ex. : critères plus larges). Expériences structurées et structurantes et services de qualité homogène, via la systématisation des processus internes de travail. En termes de visibilité et communication : matériel concret et marquant. Facteur important (ex. : nouveaux contacts, contrats).
    • Impact positif pour les participant·e·s : expérience de travail rémunéré, et expérience de travail permettant de se lancer sur le marché du travail. La souplesse permet d’aller chercher plus de gens. Présence de nouveaux savoirs.
    • Impacts positifs pour les client·e·s : gagnant pour tous.te.s. La clientèle s’intègre bien, et participe à un des projets de développement durable. Il y a création de services de qualité (par la financiarisation du coût des services). Cela permet aussi de contribuer à la pénurie de main-d’œuvre.
  • Le Centre-St-Pierre – L’économie sociale répond à des besoins réels. Pour la prise de décision interne, c’est principalement une question de la cohésion de la mission. Il y a parfois une tension entre la viabilité financière et viabilité humaine. Présence d’une forte adéquation entre mission, vision, et valeur. La gouvernance est engagée pour répondre à la mission. Au niveau des ressources humaines : bien intégrer les gens dans la vision. Forte volonté de s’intégrer dans le quartier.
  • La coop Le symphonique – La formule de la coop a pu permettre de créer un réseautage intéressant. L’aspect coop a également pu permettre le partage de connaissances et de formes d’entraide (échanges de services, locaux partagés, etc.). La coop n’a pas souhaité avoir un nombre maximal de gens dans le C.A afin d’inclure le plus de gens possible et de permettre l’apprentissage des bases organisationnelles d’une coopérative. En résumé, cette forme d’organisation économique a également permis d’éduquer.
Est-ce que cela a été facile? Si vous aviez aimé entendre un conseil à votre lancement, cela serait lequel?
  • Le GIT – Virage « pas simple à prendre ». La gestion financière et administrative est plus lourde (ex. : gestion de la paie, et reddition de compte qui est à géométrie variable). Il y a certains impacts sur la culture organisationnelle, par exemple dans l’importance de penser à une démarche de gestion du changement (ex. : accompagnement externe), car il faut penser au changement sur le long terme. Émergence d’une pensée et une gestion entrepreneuriale (ex. : ouvert à la prise de risques).
  • La Livrerie – Bénéfices majeurs pour les humain·e·s qui composent l’équipe, mais c’est aussi là que se joue les défis (ex. : la COVID n’a pas aidé, la communication a pu parfois être difficile, etc.).
  • Coop Le symphonique – Enjeu de temps dû à l’urgence d’agir, le montage financier a été ardu. Frais cachés, enjeux au niveau de la vente (ex. : aller chercher un médiateur). L’appui de personnalités connues (ex : Michel Rivard, Daniel Bélanger) a certainement dû aider à raccourcir les délais administratifs (qui étaient d’un an).
  • Le Centre St-Pierre – L’organisation était déjà fort sensible aux principes de l’économie sociale; la transition vers ce modèle était donc normale. La question de la viabilité financière est essentielle à aborder. Il est essentiel de chiffrer, documenter ses démarches. Il est également important de bien s’entourer et de bien s’informer avant de se lancer. Il faut souvent parler de son idée, laisser émerger d’autres idées. Il faut finalement savoir reconnaître qu’il est bénéfique de « partir petit » et d’avoir un projet dans lequel tout le monde est au clair, en bref, faire preuve de plus de transparence possible est fortement conseillée.