Les organismes d’action communautaire autonome : entre engagement et épuisement

L’action communautaire autonome

À la suite de la Révolution tranquille qui a mené au rejet de l’Église et au modèle de charité lui étant associé, les Québécoises et Québécois se sont réunisEs et ont créé des organismes d’action communautaire autonome (ACA). Les actions et pratiques de ceux-ci ont permis de faire avancer les droits dans la société québécoise et de faire évoluer les mentalités vers plus d’ouverture et de solidarité. Encore aujourd’hui, ces organismes représentent un moyen pour la population de s’exprimer et de participer à la vie démocratique de leurs milieux.

La Politique gouvernementale en matière d’action communautaire

En 2001, le gouvernement du Québec reconnaissait ces regroupements de citoyens en adoptant la Politique gouvernementale L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec. Élaborée notamment afin que les organismes d’action communautaire puissent jouer un rôle essentiel et être autonomes des intérêts privés ou partisans, la Politique reconnaît la nécessité de financer la mission des organismes d’action communautaire :

« Ce mode de soutien financier suppose une approche globale qui réponde à la nature intrinsèque de l’action communautaire autonome […]. À ce titre, ce mode de soutien financier impose la reconnaissance d’une contribution qui ne se limite pas à la seule prestation de services, mais qui vise également une participation sociale et est axée sur l’information, la responsabilisation et la mobilisation, ainsi que sur le renforcement du potentiel des personnes, le soutien des milieux de vie et l’amélioration des conditions de vie. On parle ici de pratiques ou de services alternatifs, donc de nature différente de l’approche et des pratiques en cours dans les services publics. »

La Politique gouvernementale L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, p.27.

Ainsi, avec cette Politique, le Québec devait se doter d’une force singulière et unique dans le monde, en investissant dans la démocratie et les organismes d’action communautaire.

Une commission pour faire le point

Constatant, quinze ans après son adoption, le manque d’application des principes de cette politique et le sous-financement à la mission globale des organismes, parfois au profit des fondations privées, les membres du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) ont mis sur pied la Commission populaire de l’action communautaire autonome.

Tenue en 2015-2016, cette Commission a fait le tour des régions du Québec afin de faire le point sur la situation.

Les commissaires ont pu prendre connaissance des retombées collectives et individuelles de l’action des organismes communautaires qui travaillent à soutenir et accompagner des citoyenNEs dans leur parcours de vie, selon une approche globale. Par cette approche, les organismes communautaires visent à aller au-delà de la prestation de services et de l’administration de programmes, pour favoriser la participation démocratique de leurs membres en vue d’une transformation sociale. Cela n’est possible qu’à travers un financement à la mission.

Les témoignages et mémoires reçus ont également permis de constater l’importance de l’action communautaire autonome (ACA) pour l’économie du Québec. En effet, l’ACA stimule la création de nombreux emplois, a d’importantes retombées fiscales pour le gouvernement et contribue au produit intérieur brut (PIB) du Québec, plus que les secteurs minier et gazier. Par ailleurs, grâce à son approche de prévention, l’ACA réduit les coûts en matière de santé, de services sociaux et de sécurité civile. Soulignons également que les organismes communautaires comptent près de 424 000 bénévoles, dont le travail équivaut à plus de 100 000 emplois à temps plein.

Financement, reconnaissance et précarité

Pourtant, selon les témoignages et mémoires des organismes d’ACA, ni la lettre, ni l’esprit de la Politique ne sont respectés par l’appareil gouvernemental. Plusieurs organismes ont témoigné ne pas avoir vu leur financement à la mission augmenter depuis 10 ans et d’autres ont affirmé ne pas en recevoir du tout puisque leur ministère d’attache n’a aucun programme de reconnaissance à cet effet. Le sous-financement, notamment la non-indexation, réduit leur capacité à intervenir avec les personnes en situation de vulnérabilité. Il mine aussi la capacité des organismes communautaires à répondre à de nouveaux besoins sur des territoires où la population migre et augmente rapidement.

LA COMMISSION POPULAIRE POUR L’ACA EN QUELQUES CHIFFRES

  • 12 régions visitées
  • 31 commissaires qui ont entendu les témoignages et lu les mémoires
  • 1 126 personnes qui ont assisté aux audiences
  • 145 organismes qui ont fait une présentation
  • 278 mémoires qui ont été déposés

Les organismes ont également parlé des effets négatifs causés par la réduction des dépenses dans les programmes sociaux, la tarification et la privatisation des services publics. De plus en plus de personnes doivent se tourner vers les organismes communautaires qui peinent à répondre à l’ensemble des besoins, en raison d’un manque de financement important.

Les femmes plus touchées

Les participantEs à la Commission ont de nombreuses fois indiqué que les femmes sont davantage touchées par les compressions budgétaires et par la tarification des services publics. D’une part, parce qu’elles demeurent les principales utilisatrices du système de Santé et de Services sociaux : pour elles-mêmes, pour leurs enfants ou les autres personnes dont elles prennent soin, et d’autre part, en raison de leur situation économique qui reste encore aujourd’hui moins enviable que celle des hommes. Elles sont également les principales travailleuses du réseau public et, par le fait même, davantage victimes des suppressions et des réductions de postes.

Conditions de travail difficiles

Par ailleurs, les personnes qui travaillent dans les organismes d’ACA, dont 61 % sont des femmes et 64 % possède un diplôme post-secondaire, ont témoigné de leur surcharge de travail. Elles ont parlé de leurs sentiments d’impuissance, de perte de sens au travail et d’épuisement professionnel. Plusieurs ont également nommé la difficulté d’offrir ou de maintenir des conditions de travail intéressantes pour leur personnel. Le soutien gouvernemental annuel pour ces précieux emplois représente moins de 4 000 $ par emploi, alors que le gouvernement s’apprête à investir 2,2 $ milliards pour financer 10 000 emplois dans le cadre du Plan nord et 1,3 $ milliards pour financer les 1 700 emplois de fabrication de l’avion C Series de l’entreprise Bombardier; des emplois qu’occuperont sans doute des hommes, principalement.

Financement inadapté

Finalement, des témoins ont dénoncé l’important financement public alloué aux fondations privées (Fondation Lucie et André Chagnon, Fondation du Dr Julien, etc.), avec peu d’exigence en matière de reddition de compte. Ces fondations refusent bien souvent de travailler de pair avec les organismes communautaires et dédoublent leur action, sans toutefois posséder leur expérience.

À cette tendance, s’ajoute le financement par projet. La prédominance de ce type de financement augmente grandement la tâche administrative des organismes communautaires. Ceux-ci doivent non seulement rédiger des demandes et des rapports de plus en plus lourds pour répondre aux exigences des différents bailleurs de fonds, mais ils doivent aussi participer à un plus grand nombre de lieux de concertation. Tout ce travail non-financé se fait largement au détriment de la réalisation de leur mission.

REVENDICATIONS ISSUES DE LA COMMISSION POPULAIRE POUR L’ACA

  1. Que le gouvernement maintienne, renforce et développe davantage les programmes sociaux (filet social) sous sa juridiction : aide sociale, CSST ( maintenant Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail), etc.
  2. Que le gouvernement réinvestisse les sommes nécessaires au maintien et au développement des services publics et parapublics sur l’ensemble du territoire du Québec (santé et services sociaux, éducation, CPE, etc.)
  3. Que le gouvernement soutienne des structures de concertation régionale, et ce, avec la collaboration des différents acteurs du milieu dont les organismes d’ACA.
  4. Que le gouvernement réponde positivement aux demandes du mouvement d’action communautaire autonome :
    1. L’application et le respect de la Politique gouvernementale en matière d’action communautaire, adoptée en 2001
    2. Une bonification significative du soutien financier à la mission des organismes d’ACA déjà financés, en vue de répondre adéquatement aux besoins des populations rejointes par ceux-ci
    3. Un ajout de sommes supplémentaires aux différents fonds ou programmes s’adressant aux organismes d’ACA afin de soutenir des organismes non encore financés ainsi que pour répondre à de nouveaux besoins dans les communautés
    4. L’indexation annuelle du financement des organismes d’ACA
  5. Que le gouvernement s’abstienne d’adopter toute loi, politique ou réforme qui pourrait affaiblir l’ACA ou allant à l’encontre de la Politique gouvernementale en matière d’action communautaire.

POUR LIRE LE RAPPORT COMPLET : https://mobilisationaca.com/

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE RQ-ACA : http://www.rq-aca.org/